Le préjugé
de la rampe
pour un cinéma déchaîné


Un ouvrage collectif
coordonné
par Bernard Bénoliel
(Ed. ACOR©2004)



Auteurs des textes 
Bernard Bénoliel | Alain Bergala | Nicole Brenez | Erik Bulot | André S. Labarthe | Jean-Marc Lalanne | Rafi Pitts | Jean-François Rauger |

C’est dans le King Kong de 1933. Arraché à son île, le grand singe se retrouve sur une scène de Broadway, livré en pâture au public des soirs de première. Pas pour longtemps. En brisant ses chaînes, il brise aussi sa scène, celle qui était supposée l'exposer sagement et le contenir tout entier. D’une façon inoubliable, King Kong « passe les bornes », enjambe une frontière interdite et se dirige vers nous. 
C’est dans la Rose pourpre du Caire. L’instant où Mia Farrow, spectatrice assidue, traverse l’écran de cinéma comme Alice son miroir, entre dans le film, dans la matière même de l’image, vit une vie « élargie » et, le temps de quelques plans exaltants, trouve sa vitesse de libération. Dans les deux cas, mais il y en a beaucoup d’autres, il s'agit d’échapper au même enfermement, à une même assignation à résidence, à une même scène (les planches de Broadway, la place de spectateur dans une salle) trop étriquée pour tout retenir. 
Dans les deux cas, il s'agit d'un franchissement et d’un renversement dans un espace plus vaste, illimité même, qui correspondrait en fait et enfin aux dimensions réelles et imaginaires des êtres et des formes. Il s'agira donc d'observer et de décrire des « folies ». Ou comment un film organise, à l'intérieur de ses propres limites, celles de son écran, et depuis une scène qu'il représente – scène de théâtre, mais aussi salle de concert ou de cinéma, planches du music-hall, piste de cirque, plateau TV –, son débordement, son excès, son happening. Comment, depuis son site même et sans en sortir, il met en scène une sorte de performance. Autrement dit, remarquer quand le spectacle filmé ne joue pas son jeu ordinaire, quand il insiste davantage sur le jeu que sur la règle, quand il ne tient pas en place, se détraque et devient sujet à part entière, outrepasse ses droits – ou plutôt ses devoirs –, ne respecte pas le pacte minimum qui le fonde, celui où chacun joue son rôle en un dispositif bloqué, là où les plaisirs et les passions se purgent comme il faut et là où règne un ordre bourgeois. Quand il se produit, dans un sens ou dans l'autre (quitter la scène, s'immerger dans l'image, enfoncer des espaces), une déhiscence, une invasion ou une confusion, une prolifération, en somme de l'inédit.

"Symphoniser la sensibilité du public, explorant et réveillant par tous les moyens possibles ses nerfs les plus assoupis ; détruire le préjugé de la rampe, en lançant des filets de sensations qui enveloppent la scène et et le public"

Filippo Marinetti 

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